Les collaborateurs

Un grand nombres de personnes ont collaboré à L’Orient-Express. Ce fut une expérience mémorable pour nombre d’entre-eux, en particulier dans leur relation avec Samir Kassir. Ils se racontent. Les voici, par ordre alphabétique :

Hanane Abboud

Ça devait durer deux heures.

« Abboud, tu peux nous donner deux heures demain matin, pour jeter un coup d’œil sur les quelques petites fautes que nous aurions oubliées ? »

Et je suis tombée dedans. Comme dans une potion magique. Plutôt dans un chaudron où mijotaient un paquet de désirs, de rêves, d’ambitions, d’enthousiasme, d’angoisses aussi. Et de journalisme. Bien sûr. Après tout c’était le prétexte et Kassir n’a jamais cessé de rêver son journal. Celui d’après devait être un quotidien. J’en ai rêvé aussi.

De la réécriture à l’écriture, le pas a vite été franchi. Les folles nuits de bouclage ont fait le reste. Lire, écrire et rire : il ne m’en fallait pas plus pour avoir envie de continuer l’aventure.

Mais…

Les deux heures ont duré deux ans. N’ont duré que deux ans. Stupidement interrompus. C’est brutal la stupidité.

Carmen Abou-Jaoudé

(Politologue, chercheuse associée au CEMAM de l’Université Saint-Joseph et chargée de cours à l’Université Saint-Esprit de Kaslik)

L’Orient-Express devait s’intituler Manara, titre qui correspondait parfaitement à la vision que Samir avait du mensuel : un phare arabe en langue française. Mais nous avons appris que le titre existait déjà. J’ai eu le privilège d’accompagner la naissance de la revue, la conception des rubriques et le choix des collaborateurs dès les premiers jours, ardus, de L’Orient-Express. J’ai vu le génie de Samir et compris le sens et le fond de l’aventure dans laquelle il nous embarquait. Jeune journaliste, diplômée de l’Université libanaise, rentrée de France après des études en sciences politiques à l’Université de Montpellier et des reportages au quotidien Midi Libre, j’étais au bon endroit pour entamer une carrière en journalisme d’investigation au sein d’une rédaction prometteuse, libre et originale. Une aventure qui dura moins de trois ans et qui me marqua à jamais.

Ziad Abdelnour

Lorsqu’encore Samir cherchait des petites plumes à aiguiser, Caroline nous a présenté. Je pense qu’il fut assez amusé de sonder à travers ma collaboration ce que la culture de la droite chrétienne pouvait générer de lisible dans un journal voulu à gauche pour un public de droite. L’OE restera pour moi le souvenir d’une époque malgré tout assez indolente où l’on s’essayait à une contestation douce et taquine face à une nouvelle construction politique. 

Ça me restera aussi comme une expérience personnelle et d’équipe unique autour d’un homme brillant, exalté par cette aventure journalistique atypique, par la puissance des mots et surtout ravi de leur capacité à déranger un système paternaliste arrogant. 

Un beau pavé qui laissera une trace de finesse.

Claude Achkar, Paul Achkar, Samia Akl, Fadi Ariss, Jamal Asmar

Christophe Ayad

1996 : j’ai 27 ans et je débarque à Beyrouth pour la première fois. Un rêve d’enfance. À l’aéroport, Samir m’accueille dans sa vieille voiture. Il fait déjà nuit et la balade n’en est que plus impressionnante. En une heure et demie, j’ai droit à un cours lumineux sur la guerre civile et ses braises mal éteintes. La soirée se finit tard dans un restaurant de Byblos. Le lendemain, il me présente à l’équipe de L’Orient-Express que je rencontre pour la première fois : « Christophe Ayad, notre grand reporter monde arabe ». Basé au Caire pour Libération, cela fait quelques mois que, recommandé à Samir par Dominique Vidal, j’envoie des piges à ce nouveau journal. D’abord l’Égypte, ensuite l’Irak, le Yémen, Gaza ou le Soudan suivront. Je jubile. C’est exactement ce que j’espérais : l’impression de travailler pour un Actuel arabe et francophone, d’être là où il faut, là où ça bouge.

Chawki Azouri

Médéa Azouri

(Rédactrice en chef Noun Magazine, Animatrice Nostalgie Liban Éditorialiste L’Orient-Le Jour)

À peine débarquée à Beyrouth, et au magazine, Samir m’a nommée La pétasse de L’Orient-Express. À cause de ma blondeur peut-être ou de mes pauses manucure. Rituel auquel il a fini par céder lui-même pour entretenir ses ongles rongés. Pétasse peut-être mais, le temps passant, je suis devenue sa benté. Je ne pouvais pas recevoir de meilleur surnom de celui qui a été mon père spirituel, celui qui m’a tout appris. 20 ans après cette aventure, j’entends parfois, au-dessus de mon épaule, ses remarques. « Raccourcis ta phrase », « ajoute un adjectif », « lâche-toi comme dans ton article sur Los Angeles ». Bento a grandi et lui n’a/n’aurait pas pris une ride. Et aujourd’hui, dans ce marasme dans lequel nous sommes plongés, il me manque cruellement.

Ghada Azzi, Fadi Bacha, Nabih Badawi

Joseph Bahout

Les temps étaient un peu glauques. Nous étions, quelques « camarades » de hasard et moi – Paul, Samir, et une petite poignée d’autres -, en quête d’un brin de politique « autrement », même si nous en faisions autant que faire se peut dans ce contexte.

Quand « Sam » a eu l’idée géniale et folle de l’OE, on s’est jeté dessus comme des chiens affamés sur un os.

On l’a pas mal pensé ensemble, conçu le long de nuits fiévreuses et imbibées. Pour certains d’entre nous, moi en tous cas, il nous a « révélés ».

Révélé aussi qu’il y avait autre chose, de tout autant politique, à côté du – ou de la – politique. Révélé qu’il y avait dans ce pays des talents incroyables et beaux. Révélé ce qu’on avait peut-être oublié, à savoir qu’écrire c’est faire.

Pour ma part, l’exercice mensuel d’écriture, qui prenait au début le tour d’un pensum douloureux dans lequel Samir était mon doux tortionnaire qui me forçait à vaincre ma procrastination, était devenu une sorte de thérapie salutaire. L’OE avait ouvert une Porte, et on aimait, de nouveau, Beyrouth.

Reeva Berbari, Alain Bifani, Ayman Bouchri

Omar Boustany (alias Tarek Akl)

« C’est bien coco » : c’est ainsi, tel un journaliste de polar, que Samir avait réagi à mon book de jeune journaliste parisien, fraîchement débarqué après un voyage initiatique en Inde.

C’était fin 1995, peu avant que je n’intègre l’équipe embryonnaire dans le numéro 3 et ne m’installe au Liban, que je n’ai jamais quitté depuis. Ont suivi 24 numéros où s’est créée, étape par étape, une équipe de choc.

Au lieu de Katmandou, c’est à L’O-E que je devais connaître la révélation pour devenir « le si pénétrant O.B », expression dont Samir ne se lassait pas.

A la fin de l’aventure, Samir devait devenir mon éditeur en publiant sous le titre Etat-Limite, mon éditorial Lebanese Dream de « décrypteur sociétal » attitré de l’O-E.

Mais, depuis que mon éditeur a été assassiné, suite à la Révolution du Cèdre, je n’ai plus envie d’écrire, ni de faire le journaliste et suis devenu créatif de pub.« Fils de pub » comme dirait l’autre. Ça vous étonne ? Ça m’a un peu refroidi, si j’ose dire.

Melhem Chaoul

Cela lui est venu à l’esprit suite à un long échange sur la scène finale de Casablanca, son film fétiche.

– Au fait, pourquoi tu n’écrirais pas pour L’Orient-Express ?

– Vous avez un trop plein de collaborateurs « politiques », pourquoi en rajouter, lui ai-je répondu.

– Non ! Tu feras des portraits, des sociographies de la société libanaise. Commençons par cette forme inédite de mariages tape à l’œil.

Ça a marché. Et il y en a eu d’autres… 

Edouard Chaptini

Nadine Chéhadé

N’en déplaise à Mazen, la benjamine, c’était moi. De cette infortune calendaire, j’ai d’ailleurs tellement souvent exprimé le regret qu’il me tardait de voir naître, sous la direction de Samir, ce Temps de Beyrouth dont nous caressions l’idée. Un quotidien où je rêvais de (re)écrire à mon saoul, pour cette fois traiter, et pas qu’à travers les bulles et les dessins des autres, les problématiques qui me tiennent à cœur et qui continuent d’influencer mes lectures « arabédesques ». Un Temps que j’espère encore, en hommage, dont les bureaux ne seraient pas fumeurs, modernité oblige, mais où régneraient la même excitation, le même sens de l’humour, la même impertinence, et la même audace journalistique d’imaginer, de dire, et souvent d’écrire, tout ce qui, aujourd’hui comme hier, ailleurs, toucherait à l’impensable. Un Temps où Beyrouth beyroutherait.

Tamima Dahdah

Caroline Donati (alias Caroline Chérif / Carolyn Sherry)

Je dois rendre ma bio pour avant-hier !  Autant dire que je suis en retard, moi la secrétaire de rédaction. C’est normal. Une Deadline est faite pour être dépassée, dixit Samir.

J’ai été embarquée dans l’aventure à dix jours de la sortie du premier numéro. Nous étions 4 dans un bureau d’à peine 10 m2, comme si nous sortions un journal dissident. Les dissidents se sont étoffés, et nous avons eu de vrais bureaux.

L’Orient-Express se faisait en 10 jours : c’est dans ces bouclages, qui se terminaient toujours par une nuit blanche, parfois 2, que les meilleurs pages s’écrivaient, que de nouvelles signatures arrivaient.

Un couvre-feu sur Beyrouth ? Parfait. De toute façon, personne ne sort.

Dès le second numéro, j’ai commencé à écrire. 

Mon plus beau sujet ? Un reportage sur la réouverture du Casino de Beyrouth.

– Tu as lu du S.A.S ? 

– Oui.

– Parfait. Tu vas l’écrire à la Gérard de Villiers ton reportage.

Signé : Carolyn Sherry. Forcément.

Jabbour Douaihy

J’ai signé des articles dans tous les numéros de L’Orient-Express. J’en suis content. Samir m’avait contacté dans l’espoir de représenter un peu, avec d’autres, une gauche d’avant-guerre, et pour suivre l’actualité littéraire arabe. C’est que j’étais enseignant en français et auteur de romans en arabe. À chacun sa tare. J’habitais dans le Nord et “descendais” à Beyrouth deux fois par semaine. Et c’était le passage obligé dans les locaux de L’Orient-Express, une heure ou deux à vérifier encore une fois que Kassir avait réussi ce coup rare de réunir ces jeunes (et moins jeunes) de tous bords qui réinventaient la francophonie et l’élégance du journalisme engagé.

   

Claude Eddé (alias Marie Mattar)

Je ne sais plus qui, de Samir ou de moi, avait suggéré que je collabore à L’Orient-Express. C’était juste après la sortie du premier numéro. J’étais en mal d’écriture et j’aimais tout de la revue : son nom, son concept, ceux qui y écrivaient et celui qui la dirigeait.

Je préférais ne pas signer Claude Eddé et Samir n’y voyait pas d’inconvénient. C’est ainsi que Marie Mattar – mon premier prénom accolé au nom de mon mari, pas tout à fait un pseudo donc – et le « Seuil de tolérance » sont nés.

J’aimais appeler Samir « Bonjour Samir, c’est Marie » et entendre son sourire au bout du fil. Parfois c’était lui qui m’appelait « Avez-vous vu Marie ? » quand je tardais à remettre mon papier, et nous riions tous les deux.

Bertrand Fattal, Victor Fernaïné, Antoine Haddad, Scarlett Haddad, Mazen Hakim, Souheil Hanna, Sandra Iché

Riad Kamel

À la lecture de ma première revue de presse sur le double album des Smashing Pumpkins, Mellon Collie and the Infinite Sadness, Samir lève les yeux vers moi, un peu amusé, et me dit : « Tu trouves pas ça un peu gonflé d’utiliser l’Orient-Express comme plateforme de tir pour tes dragues intempestives ? »

Je me lance, pour ma défense, dans un descriptif détaillé de la belle, sachant que ça ne le laisserait pas indifférent. 

Il s’ensuivit une collaboration des plus délicieuses et une amitié indéfectible. Je n’en dirai pas plus. Il faut savoir rester révérencieux.

Anthony Karam (alias Karim Antoun) 

Hiver 96, Paris. À L’Écritoire, cette place de la Sorbonne qu’il aime, mais pas moi. Je suis encore à Sciences Po et l’aventure de L’Orient-Express est commencée depuis quelques numéros. « Envoie déjà des articles et puis, si tu décides de rentrer, peut-être qu’un jour tu seras l’adjoint ». Quelque temps plus tard, je débarque dans une équipe presque formée. Mais durant ces deux années, je ne me verrai jamais vraiment comme rédacteur en chef adjoint autrement que par le titre. Samir était débordant, trop brillant dans tous les sens, c’était «l’homme total» et moi plutôt «la cheville ouvrière», l’A.K. des deux et parfois trois nuits blanches d’affilée lors des bouclages. Quand cette aventure d’une liberté dingue s’achève, on tente durant quelques mois de lancer un quotidien francophone au format tabloïd façon Libé, irréaliste financièrement. Je finis lâché dans la nature, touchant à tout parce que tout me touche.

Houda Kassatly

Samir, un ami d’école et d’université. Au moment de la création de L’OrientExpress, il m’appelle pour me confier une rubrique d’ethnologie grand public. Un article par mois à produire sur des sujets divers et variés, puisés dans ce pays grand comme un mouchoir de poche mais à la diversité avérée. Il balaye mes réticences d’une sommation : Je veux l’article sur mon bureau à la fin du mois ! Son injonction ne souffre aucune critique. C’est un engagement sans retenue qu’il attend et auquel je suis bien obligée de souscrire ! C’est ainsi qu’est née la rubrique « Si proches, si extrêmes » qui nous a permis de voyager au cœur d’un Liban et d’une Syrie très souvent méconnus. Ma collaboration a été assortie d’une participation photographique à divers articles. Cette expérience s’est ensuite traduite par la publication d’autres ouvrages, le début d’un long cheminement dans l’édition. 

Hala Kassir

Mazen Kerbaj

Dès mon entrée à L’Orient-Express j’ai été promu à deux postes que je n’ai plus jamais quittés : celui du plus jeune collaborateur (ou plus simplement le p’tit con comme disait Samir) et celui, plus prestigieux encore, de l’homme qui était toujours en retard. Je ne suis pas peu fier d’être toujours le plus jeune (on n’a plus jamais engagé quelqu’un depuis) et d’être toujours aussi en retard (je viens de torcher cette biographie à la dernière minute).
Ai-je dit quelque part que Samir Kassir a essayé par tous les moyens (sans y parvenir) de corriger l’exécrable « style » qui caractérisait mes chroniques (notamment l’utilisation des parenthèses à tout bout de champ) ? 

Walid Keyrouz, Paul Khalifé

Charif Majdalani

C’est dans une des boîtes de nuit des premiers temps de l’après-guerre, un soir où nous nous sommes retrouvés par hasard, après quelques années d’un éloignement involontaire, que Samir m’a parlé de ses projets, de la maison d’édition dont il rêvait pour éditer les Mille et une nuits dans leur version intégrale mais surtout d’un magazine qui serait un supplément de L’Orient-Le Jour. À un moment, dans la bruyante et frénétique semi-obscurité du lieu, de l’air rigolard qu’il avait souvent, le regard pétillant, il sort mystérieusement de la poche de sa veste un petit objet que je devine être un tampon et, d’un geste presque royal, comme on le fait avec un sceau, il appose sur le bord d’un menu, ou d’une serviette en papier, le nom et le logo de Layali, sa maison d’édition rêvée. En revanche, a-t-il ajouté, pour la revue, il n’y a pas encore de nom. Mais le projet n’était pas un rêve.

Ziad Majed  

(Politologue, professeur à l’université américaine de Paris)

En 1996, Samir me demande des articles pour L’Orient-Express pour toucher un public francophone sensible aux questions politiques et sociétales sur lesquelles j’écrivais déjà en arabe.

C’est ainsi que j’ai contribué On and Off à L’Orient-Express de mi-1996 à la fin de 1997 avec cette idée d’exprimer en français ce que je pensais en arabe. L’Orient-Express a été pour moi l’espace d’une francophonie « alternative », progressiste, capable de concilier des noms et des textes de backgrounds assez riches et différents.

Une revue qui portait un projet culturel et politique qui reste aujourd’hui, après – et malgré – toutes les déceptions, les défaites et la perte de Samir, d’une grande actualité.

Farouk Mardam-Bey (alias Ziryab)

Je n’ai jamais mis les pieds dans la cuisine de L’Orient-Express même s’il me revenait d’y tenir la rubrique gastronomique, coiffé de ma toque de chef ! Samir m’avait parlé de son projet d’un magazine qui serait à la fois dans et contre l’air du temps et qui tirerait profit de la longue tradition francophone libanaise tout en la bousculant. Il tenait, au nom de notre vieille complicité politique et culturelle, à ce que je participe de l’aventure mais je tergiversais, comme à mon habitude : je prétextais, non sans raison, mon ignorance du « terrain ». Et ce fut ainsi, en désespoir de cause, qu’il a pris la décision de recruter à ma place mon alter ego, un certain Ziryab…

Alexandre Medawar (alias Abdallah Raad)

Fin 96 : je viens de débarquer à Beyrouth. La rencontre avec Kassir est organisée par Donati, la secrétaire de rédaction. Je bluffe : « Vous avez besoin d’infographies dans ce magazine, je suis votre homme. » Lui : « Tu as quelque chose à me montrer ? » Moi : « Non, j’ai tout laissé en Suisse ». Je n’avais dessiné qu’une carte dans ma vie. Au crayon. Le mensonge paie. Il me rappelle deux semaines plus tard et me commande 13 cartes sur les conflits au Proche-Orient. J’ai aussi droit à la couverture et place un petit texte en contre-point à celui d’Omar. « En plus, tu sais écrire, le Suisse ! » L’aventure commence.

https://on-the-battlefield.blogspot.com/

Nada Moghaizel-Nasr

Faire partie de l’aventure de l’Orient-Express, c’était faire partie de la famille que fondait Samir Kassir, une famille des droits de l’Homme. C’était devenir sa cousine et celle de personnes que j’aime et estime sans les connaître de près parfois. Refuser n’était donc pas envisageable, malgré les charges déjà nombreuses. J’ai demandé quelques jours pour répondre, comme je le fais souvent, sachant que j’allais finir par accepter. Ces quelques jours me servent en général à produire ce qui m’est demandé pour m’assurer que j’en suis moi-même un peu satisfaite. En sortant du bureau de Samir, je me suis donc attelée aux textes des cinq mois à venir, et qui devaient paraître sous la rubrique « In vivo ». Ainsi, pendant une longue période, j’ai eu le bonheur d’être membre d’une famille nouvelle et aimée et de partager la chambre de quelqu’un qui était une sœur déjà, Nada Nassar-Chaoul, puisque nous intervenions sur la même page. Une sœur qui, elle, écrivait ses articles quelques heures avant le bouclage de la revue. Nous en avons beaucoup ri.

Samer Mohdad

Nada Nassar-Chaoul

Une journée pluvieuse de janvier à la fin des années 1990. Chez Germanos, le café enfumé de la rue Huvelin. Le jeune homme doué au sourire légèrement narquois m’écoute lui confier, en grand secret, que oui, parfois, il m’arrive d’écrire « de petites choses » probablement inintéressantes. À mon grand étonnement, il me demande un article pour le lendemain.

C’était le début des « Frimes de L’Orient-Express ». « L’aventure allait durer un peu plus de deux ans. Deux ans de sourires et de complicité.

Merci Samir. 

Chantal Rayes

J’ai fait mes débuts grâce à Samir. C’était en 1995. Najwa Aboulhosn, qui était alors rédactrice en chef du JT en français de Télé Liban où j’étais en stage, m’avait envoyée chez lui. Dans le petit bureau enfumé d’Achrafieh, l’aventure de L’Orient-Express commençait. Parmi les premières recrues, j’étais en charge des enquêtes sans en avoir jamais fait aucune. Samir a cru en moi. Le goût de l’investigation, l’éveil à la politique, l’éveil tout court … Je lui dois tout cela. Depuis 2001, je vis au Brésil, un pays qui façonne de manière décisive ma vision des choses. Work in progress. Depuis São Paulo, j’assure la correspondance de Libé et du Temps de Genève.

Fadi Saad, Serge Saba, Nawaf Salam

Rasha Salti

La Palestine, le Liban, la Syrie, nous portions les mêmes pays dans nos constitutions originelles. C’est dans le Beyrouth de l’après-guerre que notre complicité s’est forgée. Nos vécus avaient été différents mais dans nos imaginaires se sont croisés les mêmes protagonistes : Mafalda, Yasser Arafat, Achille Talon, Raymond Chandler, Ute Lemper, Edward Saïd, Corto Maltese, Muhieddine al-Labbad, Omar Amiralay… Il est venu me trouver avec des invitations à l’aventure. D’abord dessiner les couvertures de romans, essais et collection de poésies publiés par Dar al-Nahar qu’il a dirigé quelque temps.  Puis avec l’idée de cet Orient-Express. Malgré les mois passés à imaginer, concevoir et corriger le numéro zéro, les discussions avec Bernard Poulet, les longs week-ends au labour, je n’y ai cru que lorsque je l’ai vu arriver avec les quelques exemplaires du fameux numéro zéro. J’ai su qu’un nouveau chemin se traçait. L’Orient-Express a changé ma vie. Il a incarné le rêve d’un monde construit par une communauté de collègues, contributeurs et complices avec lesquels je serai à jamais liée.

Reina Sarkis

1994 : L’Orient-Express. Numéro zéro. Charif Majdalani m’introduit dans le minuscule bureau de Samir. Dorénavant j’y réside en retenue de bouclage pour finir, souvent même commencer, mon « Psy Show » dû pour hier. Inventés de toutes pièces, je teste mes quiz sur Samir. « Pas mal ». Traduction : excellent.

Ma dyslexie l’amuse. J’emploie subtiliser signifiant dérober. Il n’est pas d’accord. Je m’entête. Le dictionnaire tranche en ma faveur, la seule fois en deux ans. Reina 1 – Samir : En amour on ne compte pas.

Il m’offre la fresque géante de Berque, Musiques Sur Le Fleuve, et me fait découvrir une planète entière.

2003 : Samir me dédicace Histoire de Beyrouth. Je ne l’ai plus vu depuis 1998, « aux In et Out qui ont fait nos différends », clin d’œil à un titre « Psy Show » , emprunté à Gainsbourg. On est donc moins fâché…

2005 : Le ténor du Printemps de Beyrouth me regarde le sourire aux yeux : « Pas mal ton Faja2nakom Mooo ». On n’est plus fâché du tout. 

Farès Sassine

C’est Farouk (Mardam-Bey) qui m’a lié à Samir en nous louant l’un à l’autre de sorte que notre rencontre avait toujours déjà eu lieu. Mais par son entrain, le cadet innovait en permanence, confiant et exigeant. Nulle excuse ne valait pour un travail, ç’aurait été décevoir les intuitions et les rythmes d’un visionnaire féru de réalisations instantanées.
Et nous avions pour houlette commune le grand Ghassan (Tuéni), un défi continu et une vigilance jamais en faille.

Jad Tabet

(Président de l’Ordre des ingénieurs et architectes)

Printemps 1995. Depuis six mois, je fais des allers retours entre mon agence parisienne et le petit atelier d’architecture que je viens d’ouvrir à Beyrouth.

Un samedi matin, Samir débarque chez moi : « Tu n’as pas le choix. Depuis la fin de la guerre trop de bêtises ont été dites, entre les discours dithyrambiques des hérauts de la reconstruction et les nostalgiques d’un passé ossifié. Je lance un magazine en français qui parle comme nous. Tu y tiendras une rubrique architecture qui sera impertinente ».

Nous convenons que ma première collaboration aura pour titre : Quand Beyrouth était moderne… Voilà comment « Point de fuite » est né.

Jean-Marc Touma

Joëlle Touma

(Scénariste)

J’ai rencontré Samir Kassir en 1995, alors qu’il travaillait sur les premiers numéros de L’Orient-Express, dans un bureau qui ne devait pas faire plus de 10 m2.

« Qu’avons-nous fait de notre après-guerre ? » était le thème du numéro à venir.

Une question que je me posais justement, comme beaucoup de Libanais.

J’avais apporté un article écrit au Bic sur une feuille arrachée à un cahier d’écolier. Samir l’a lu. Et publié. Quelles ne furent ma surprise et ma fierté de voir mon papier cité quelques jours plus tard dans Le Monde dans un sujet sur L’Orient-Express.

Après ça, j’ai collaboré de manière irrégulière à plusieurs rubriques de la revue, apprenant le métier en l’exerçant sous l’œil pédagogue et brillant de Samir.

Aujourd’hui, je suis scénariste et j’habite à Paris. Je me dis souvent que j’ai dépassé l’âge que Samir avait quand je l’ai rencontré.

Micha Wardé

Michael Young

 Je ne sais plus très bien comment on est arrivé, Samir et moi, à un accord sur la rubrique « Voice of Amerika ». Mais l’Amérique l’intéressait, et ça n’a pas été difficile d’emporter son adhésion. Mais ce que je n’ai pas du tout oublié, c’est la facilité avec laquelle il a accepté les quelques dessins minables que j’avais faits d’un personnage sans visage (il aurait été impossible pour moi de reproduire le même deux fois), pour une rubrique que Samir avait nommée, non sans humour, « Homme de Tête ». Comme tout bon rédacteur, il ne disait jamais non. Il était œcuménique, tout en sachant améliorer les idées. C’est cette anarchie contrôlée, vivifiante, dont je me souviens le plus aujourd’hui.

Khaled Ziadeh

Dima Zein (de Clerck)

1996 : Cela faisait un moment que, en tant qu’ingénieur, j’assistais, révoltée, à la corruption qui se déployait devant mes yeux sur un des grands chantiers du périphérique de Beyrouth. Il fallait que je dénonce ce que je n’arrivais pas à empêcher. Un exutoire possible : L’Orient-Express. J’y étais accro. Au bout du fil, un homme défiant, hautain, néanmoins magnanime, prêt à me donner une chance. J’arrive dans les locaux, timide, impressionnée par la stature du personnage, gênée par sa morgue. Il lit mon article. J’y dénonce tout, explicite, jusqu’au-boutiste. « Mais on n’a pas le droit de diffamer ! ». Il prend le papier. Il s’en occupe. Je le découvre dans le numéro suivant. Il n’y avait aucune diffamation mais une photo, énorme, qui voulait tout dire !

Des semaines plus tard, il m’appelle pour un dossier détaillé sur les travaux de SOLIDERE, un vrai travail de terrain. Une consécration pour moi ! Je me demande parfois si cette expérience n’a pas contribué à mon changement radical de carrière : d’ingénieur civil je suis passée à historienne.​